11 mois déjà...

valentin-lebrat Par Le 28/09/2017 1

Non, il ne s'agit pas d'une nouvelle directe à la Dibona...

Il y a que les 1 an de ma rencontre avec les Andes approchent à grands pas, et il y a des anniversaires qui se fêtent comme il se doit. (Que l'Alpe me le pardonne, j'ai bien vite oublié mon amour de jeunesse en connaissant sa grande sœur... Mais maintenant que je suis rentré vers elle, je vois bien que son charme ne souffre pas de la comparaison !)

Alors, pour l'occasion, je publie un billet que j'ai commencé à rédiger sous les tropiques, en Décembre dernier, dans un recoin obscur de la gare centrale de Cochabamba.

Pourquoi voyager ?

Il y a d'abord ceux qui esquivent, en faisant subtilement comprendre à leur interrogateur qu'il ne poserait pas la question s'il était en mesure de comprendre la réponse.

Ainsi, Georges Mallory qui s'attaque au mont Everest "parce qu'il est là". S'il n’était pas là, je ne pourrais le grimper, aurait dit La Palisse s'il avait connu l'Himalaya.

Cet absurde que Mallory se contente de suggérer à l’interlocuteur, Lionel Terray le revendiquera, en s'autoproclamant "conquérant de l'inutile". Pourquoi monter, s'il faut redescendre ; pourquoi partir s'il me faut rentrer un jour ? Pourquoi prendre la route en vélo quand je peux la faire en moto ? Face aux questionnements qu'on lui adresse, le voyageur est tenté de se prendre au jeu de Mallory.

Certains pourtant ont le courage de répondre, ou tout au moins de tenter une réponse. Ça faisait quelques temps que je voulais traduire le poème de Kipling, "L'Explorateur", alors voici quelques extraits choisis :

"Il n'y a pas de sens à aller plus loin - c'est le rebord de la civilisation"

Ainsi ils parlaient, et je les ai crus - travaillant ma terre et semant ma culture

Construisant ma ferme et montant mes clôtures dans ce petit village frontière

Installé au pied des collines, là où les chemins rétrécissent et disparaissent.

 

Jusqu’à ce qu'une voix, aussi profonde que la Conscience, raisonna interminablement

D'un seul Soupir sans fin répétant jour et nuit :

"Quelque chose est caché. Va et trouve le. Va et regarde derrière les montagnes

Quelque chose est perdu derrière les montagnes. Perdu, et qui n'attend que toi. Va !"

 

Alors, à cours de patience, je suis parti, sans dire un mot a mes plus proches voisins

M´échappant avec bagages et affaires - les laissant boire dans la ville

Et la foi qui déplace les montagnes ne semblait pas aider mes labeurs

Alors que j´affrontais l´abrupte chaîne de montagne - tantôt courant vers le haut, tantôt mettant le cap en bas

 

Pas après pas, j´y ai frayé mon chemin, tournant mes hanches et mes épaules

Me dépêchant dans l´espoir de rencontrer l´eau, rebroussant chemin par manque d´herbe

Jusqu´à ce que je campe au dessus de la limite des arbres - neige glissante et crêtes nues

Senti l´air froid sous le vent - je savais que j´aurais peiné vers ce col

 

Pour l'avoir trouvé, j´ai pensé à nommer le col, mais cette nuit ce fut le vent du Nord qui me trouva

Gelant et tuant tout sur son passage - alors j´appelai le camp "Désespoir"

A ce moment, mon soupir s´éveilla pour me harceler :

"Quelque chose de perdu derrière les montagnes. Plus loin encore ! Vas-y !"

 

Alors j'ai su au moment ou je doutais - j'ai su que Sa Main était certaine au-dessus de moi

A ce moment encore - des dizaines d´hommes plus forts que moi ont échoué -

J´aurais pu retourner au village sain et sauf...

Mais je ne l´ai pas fait... Je ne l´ai pas fait. Je suis descendu de l´autre côté.

Jusque là où la neige disparaît dans les fleurs, et les fleurs se changent en Aloès

Puis je me retrouvai de nouveau dans un désert - une terre foudroyée et un ciel foudroyant.

 

Je me souviens avoir allumé des feux; je me souviens m'être assis autour d'eux

Je me souviens d'être devenu fou - et je le savais

"Ce désert est vraiment plein de rêves", mais mes deux jambes me l'ont fait traverser

 

Quelle gloire en ai-je retiré ? Ai-je nommé une seule rivière, ai-je prétendu à un seul mètre carré ?

Ai-je emporté un seul trésor ?

Non, je ne l'ai pas fait. Mais, par Celui qui m'a fait, j'ai reçu un salaire dix fois plus grand.

Saül est venu chercher des ânes, et par Dieu il trouva un royaume.

Oui, votre "Pays impossible", d'accord, votre "rebord de la civilisation"

Et "pas de sens à aller plus loin" - jusqu'à ce que je traverse la chaîne de montagnes pour aller voir de l'autre côté.
 
La conclusion, c'est Gaston Rebuffat qui la donne, dans un langage plus explicite que Kipling, mais pas moins poétique :
"Dans un monde où tout est de plus en plus programmé, organisé, pouvoir se perdre sera bientôt un luxe exceptionnel".

À leur façon, les Andes m'ont offert ce luxe, et je l'ai apprécié dans toute sa valeur. Comme disait Ronald, "Aller au lac par le chemin de la Rinconada, c'est la dernière folie de notre ami Valentin", et je lisais dans son sourire qu'il était bien heureux de rencontrer encore ce genre de "fou", et que, s'il le pouvait, il m'aurait accompagné, lui qui a traversé le plus grand glacier du Pérou "pour se promener".

 

Commentaires

  • Team

    1 Team Le 24/10/2017

    C'est par un immense hasard que je tombe sur ce billet. Tout y est parfaitement résumé... Merci de partager ce magnifique poème.

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