Retour sur 3 mois dans les Andes centrales

valentin-lebrat Par Le 02/02/2017 1

 

Je profite d'une pause sur une petite place de Valparaiso, ville portuaire du Pacifique, pour revenir sur ces deux mois et demi passés dans les Andes centrales, là-haut sur l'altiplano, au milieu des populations locales.

Ce sont les Quechuas, qui peuplent aujourd'hui l'Équateur, le Pérou et la Bolivie, avec la minorité Aymara, ils habitent les régions depuis le lac Titicaca au Nord, jusqu'à Oruro au Sud. Ces deux peuples sont certainement les ethnies autochtones des Amériques qui ont le mieux subsisté après l'arrivée des colonisateurs européens ; la plupart de ces "indiens" ayant été décimés par les guerres et les épidémies importées par les colons.

Vivre au milieu de ces gens, c'est avoir à certains égards l'image d'une Amérique comme elle a pu être avant sa découverte par l'occident. Pour que cette image soit la plus vraie, il est nécessaire de s'éloigner des grands centres urbains, ainsi que des zones aujourd'hui surfréquentées par le tourisme ; mon mode de voyage, à vélo et en autonomie, m'a offert ce luxe.

En atterrissant à Cusco d'abord, de même que pour Tim à La Paz, la surprise est de découvrir toutes ces personnes qui vivent naturellement dans leurs costumes traditionnels, portant leurs charges accrochées à l'épaule - en particulier les femmes. On se demande au début si c'est un décor monté spécialement pour les touristes, et puis on finit par se rendre compte que c'est partout pareil.

Pour ce qui est des costumes, les plus beaux que j'ai observés sont ceux des régions de Cusco et Arequipa. A Cusco, les chapeaux des femmes sont les plus spectaculaires, à large disque brodé sur les bords duquel retombe une frange de tissu, le tout étant haut en couleur. Il y a un air de noblesse dans cette région qui fut autrefois la "Rome" de l'empire Inca.

J'ai d'abord remonté les vallées aux pieds de la cordillère de Vilcanota, cette route au bord de laquelle les indiens défilaient à pied pour se rendre à une fête, probablement religieuse, puis ce fut le tour des villages d'éleveurs d'alpagas autour de la silhouette majestueuse de l'Ausangate, un des paysages les plus merveilleux des Andes.

Ensuite, sur mon chemin de la jungle - dont je ne parlerai pas ici, car il s'agit d'une autre culture - je traverse deux villages accrochés aux pentes sévères de la cordillère.

Moments privilégiés que de pouvoir s'arrêter pour la nuit dans ces villages reculés, entouré des montagnes immenses de ce côté obscur et largement inconnu des Andes. Suspendu en pleine pente, on est en pleine zone de transition entre deux mondes que beaucoup de choses opposent, celui d'en haut et celui de la forêt, dans laquelle les Incas n'osèrent jamais s'aventurer. Ces villages resteront une mémoire des plus marquantes de mon voyage.

Un peu plus tard, je remonte vers l'Altiplano et m'arrête à Macusani une ville entourée d'une steppe immense qui s'étend entre deux cordillères englacées. En comparaison avec les vallons de haute montagne, Macusani a des airs de métropole, un point de rencontre citadin des habitants de toute la province. A 4500m, c'est sans doute l'endroit de l'altiplano le plus authentique et représentatif que j'ai connu. L'élevage des alpagas y est omniprésent, puisqu'aucune culture ou presque ne pousse à cette altitude. Ai-je fait des rencontres plus bouleversantes que ces bergers et bergères dans les vallons de l'Allin Qhapaq, qui paraissent bien plus âgés qu'ils ne le sont sans doute ? Ils parlent encore moins l'Espagnol que moi, et passent leurs journées seuls avec leur troupeau. Un jour que je venais de passer une crête après une heure de montée depuis le fond du vallon, j'aperçois une femme au loin qui vient à ma rencontre. Elle fera 10 minutes à pied pour me rejoindre, pensant que j'étais le voisin venant lui rendre visite. Ainsi va la vie par là- haut.

Ma route continue vers des contrées plus communes car plus basses, mais tout aussi charmantes. J'arrive en terre Aymara au bord du lac, par une route sans touriste. Les paysages sont magnifiques et la terre est cultivée de tous côtés, cependant la population est un peu vieillissante dans les villages. Les gens sont particulièrement accueillants, toujours curieux de partager avec un étranger, et on ressent une certaine douceur de vivre par là, le climat tempéré du lac aidant. La Bolivie sera un peu différente pour moi, car je resterai essentiellement près des grandes villes ou des centres touristiques. J'aurai toutefois un rappel agréable de ce que j'avais connu au Pérou en quittant Uyuni, avant de rentrer dans le désert inhabité.

Qu'y a-t'il à dire de ces peuples ? En premier lieu, ils ont une certaine fierté de leur culture : à Cuzco comme à La Paz, ils ne cachent pas leurs costumes aux yeux des étrangers ou des "occidentalisés". Vis-à-vis des étrangers, généralement les femmes sont plus réservées quand les hommes se montrent toujours curieux. Pour ce qui est des vêtements, on en a beaucoup parlé : les costumes des femmes sont si caractéristiques et incomparables en couleurs. Leur nourriture est à base de céréales, d'une variété insoupçonnée de patates aux goûts différents, de soupes, de viandes d'alpaga ou de lama, et de boissons particulières : le jus de Maca, délicieux, et la Chicha, une bière de Maïs assez rude.

Les hommes en particulier apprennent la danse dès leur plus jeune âge, et sont souvent en train de faire quelques pas dès qu'ils le peuvent. Ils possèdent leur langue qui se perpétue aujourd' hui aux côtés de l'espagnol. Seuls quelques anciens dans les villages reculés ne parlent que le Quechua - ou l'Aymara. Ils sont très croyants, et j'ai rencontré des lycéens ou des avocats me soutenir mordicus que le Machu Picchu fut construit par une civilisation extraterrestre. On pourrait aussi parler des sirènes, des idoles...

Qu'en sera-t-il de ces régions dans les années à venir ? Les particularités culturelles vont-elles se maintenir ? La population résistera-t-elle aux sirènes de l'exode rural ?

J'ai vu des enfants enthousiasmés à l'idée de me montrer leurs danses traditionnelles et  une petite fille qui rêvait d'être chanteuse. Quand je lui ai demandé si elle préférait chanter de la musique américaine ou péruvienne, elle me répondit sans hésiter : "moi ce que j'aime, c'est la musique de Cuzco". Mais j'ai discuté avec Romario, un lycéen qui ne rêve que de ses prochaines études à Puno, grande ville au bord du lac, avant de partir pour Lima. Il rêve de France ou d'Europe. Epifanias aussi, qui a appris le Quechua à ses aînés, mais qui a laissé filer pour sa petite dernière. D'un autre côté, j'ai vu tant de jeunes couples, à l'Ausangate ou à Macusani, qui continuent de vivre à la façon de leurs parents, et élèvent leurs enfants de même. J'ai aussi croisé Ronald, qui fut maire à Macusani et qui espère être réélu en 2018 ; il cherche à faire connaître l'histoire de sa province à travers un musée qu'il a lui-même composé, et qui voudrait se battre politiquement pour développer l'élevage de l'alpaga. On lui pardonnera son obsession à vouloir planter des arbres dans la steppe.

A travers toutes ces rencontres, j'ai l'intuition que c'en est pas encore terminé de cet îlot culturel des Andes centrales. Les langues vernaculaires diminueront, c'est certain, mais l'université de la langue Quechua à Cuzco veillera certainement à ce qu'elles ne s'éteignent pas. Une certaine partie des jeunes partira, c'est certain également, mais j'ai l'impression que plusieurs resteront attachés à leurs origines.

Lors de mon dernier soir en Bolivie, je bavardais avec Epifanias (c'était de bon ton en ce début janvier...), qui me racontait le temps où petit, il traversait ce désert Bolivien avec une caravane de lamas, pour se rendre à San Pedro y faire du troc. Aujourd'hui, le semi-nomadisme n'existe plus sur l'altiplano, signe qu'une pratique de longue date peut se perdre en quelques années seulement.

Alors, carpe diem ?

 

Commentaires

  • Mam

    1 Mam Le 02/02/2017

    Que de belles rencontres tu as fait, ça doit être enrichissant pour toi qui aime tant l'histoire des civilisations!
    Oui ...carpe diem fiston!

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